Défense des intérêts
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La crise de la tuberculose dans le Nord canadien est une question de justice sociale

Le Canada doit intensifier ses efforts pour résoudre cette crise humanitaire dans le Nord en se concentrant sur ses causes profondes, notamment les traumatismes intergénérationnels causés par les politiques coloniales, et en soutenant les solutions communautaires.

Rédigé par
Rachel Kiddell-Monroe
Publié le
11 mars 2024

La crise de la tuberculose dans le Nord canadien est une question de justice sociale

Cet article d'opinion a été publié dans The Hill Times le 6 décembre 2023

Trois cents fois. C'est le taux de tuberculose le plus élevé chez les Inuits par rapport aux non-Autochtones nés au Canada. C'est une statistique stupéfiante, surtout dans un pays qui s'enorgueillit d'avoir l'un des meilleurs systèmes de santé au monde et où cette maladie ancienne et curable a été éradiquée depuis des décennies dans la plupart des régions.

Pourtant, dans les communautés autochtones, en particulier chez les Inuits, les épidémies de tuberculose restent une crise de santé publique. Des personnes meurent encore de la maladie au Canada, notamment Ileen Kooneeliusie, 15 ans, décédée lors d'un vol d'évacuation de sa communauté du Nunavut vers Ottawa en 2017.

En 2018, le gouvernement fédéral s'est engagé à réduire de moitié les taux de tuberculose chez les Inuits d'ici 2025 et à éliminer complètement la maladie d'ici 2030. Nous sommes loin d'avoir atteint cet objectif. En 2021, deux fois plus de personnes ont été diagnostiquées avec la tuberculose que l'année précédente. Trois communautés du Nunavut sont actuellement aux prises avec des épidémies, et le nombre d'infections augmente.

Le Canada doit intensifier ses efforts pour résoudre cette crise humanitaire dans le Nord en se concentrant sur ses causes profondes, notamment les traumatismes intergénérationnels causés par les politiques coloniales, et en soutenant les solutions communautaires.

SeeChange, l'organisation que j'ai fondée en 2018 pour réimaginer l'action humanitaire en soutenant les réponses sanitaires menées par les communautés, travaille avec les communautés inuites pour trouver des solutions à la crise de la tuberculose. Les membres des communautés et les agents de santé que j'ai rencontrés au Nunavut me racontent la même histoire : La tuberculose n'est pas seulement un problème médical - c'est une question de justice sociale.

L'infection bactérienne à l'origine de la tuberculose a été largement associée à la pauvreté. Une étude publiée en 2019 dans le Journal of Epidemiology and Community Health a révélé que le fait de vivre dans de mauvaises conditions de logement est un facteur qui explique les taux disproportionnés de tuberculose chez les Inuits.

J'ai vu la piètre qualité des logements au Nunavut, avec leur ventilation inadéquate, leurs tuyaux rouillés, leurs murs fissurés et leurs planchers qui s'effritent. Trente-cinq pour cent des maisons n'ont pas assez de chambres pour leurs occupants, contre cinq pour cent au niveau national, selon un rapport de 2020 de Nunavut TunngavikInc. Le surpeuplement et les mauvaises conditions de logement permettent à la maladie de se propager plus facilement.

L'insécurité alimentaire au Nunavut est quatre fois supérieure à la moyenne nationale au Canada. Le manque d'aliments sains et abordables rend de nombreux Inuits encore plus vulnérables à la tuberculose. Des études montrent qu'un bon soutien nutritionnel aux patients atteints de tuberculose et à leurs contacts permet de réduire de 40 % l'incidence de toutes les formes de tuberculose.  

Outre ces difficultés physiques, l'héritage du colonialisme et de la discrimination systémique a entraîné une méfiance généralisée à l'égard du système de santé. La Commission Vérité et Réconciliation a reconnu en 2015 que les écarts dans les résultats de santé des autochtones sont le résultat du racisme et de la colonisation. Il s'agit notamment des politiques gouvernementales antérieures consistant à envoyer les populations autochtones dans des pensionnats et des sanatoriums pour tuberculeux. Entre les années 1940 et 1960, un Inuit sur sept a été envoyé sans consentement ni compréhension dans des sanatoriums antituberculeux dans le sud.  

Cet été, SeeChange a co-organisé un voyage de guérison historique d'un groupe de survivants des sanatoriums de la tuberculose et de jeunes Inuits à Hamilton, où 1 200 patients inuits atteints de tuberculose étaient autrefois traités. Comme dans les pensionnats, les abus dans les sanatoriums pour tuberculeux étaient systématiques et les aînés ont partagé des histoires déchirantes de leurs longs séjours en tant qu'enfants non accompagnés. "Pendant des années, j'ai eu l'impression d'avoir un poignard de glace dans le dos", m'a confié Meeka Newkingnak, une survivante, après la visite. "Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'elle a enfin fondu.

Le traumatisme des survivants de cette expérience est encore profond et a été transmis aux générations suivantes. Pour inverser le cours de cette crise, il faudra se concentrer sur les causes sous-jacentes de la tuberculose.

Outre le travail déjà entrepris pour résoudre la crise du logement et l'insécurité alimentaire, le traumatisme intergénérationnel causé par les sanatoriums pour tuberculeux doit être reconnu comme un déterminant social de la santé au Nunavut. Le Canada devrait financer davantage de parcours de guérison pour les survivants. Le temps presse, car la plupart d'entre eux sont âgés de 70 ou 80 ans.

Les modèles de soins tenant compte des traumatismes doivent être conçus avec la communauté. Le travail de SeeChange a montré qu'en concevant des réponses en collaboration avec les communautés concernées, il est possible de s'attaquer simultanément à la santé et aux déterminants sociaux de la santé.

Santé Canada devrait également étudier d'autres solutions réussies en matière de soins de santé, adaptées aux réalités culturelles autochtones, comme le système de soins Nuka en Alaska, un modèle de soins de santé appartenant à la communauté et axé sur la communauté.

Enfin, Santé Canada devrait également adopter les technologies de santé prometteuses d'autres pays, telles que les diagnostics innovants de la tuberculose et les formulations de la tuberculose adaptées aux enfants, qui n'existent pas actuellement au Canada, et mettre en œuvre un programme national de surveillance de la tuberculose.

Le Canada est un bailleur de fonds important pour les efforts mondiaux visant à mettre fin à l'épidémie mondiale de tuberculose, qui tue environ 1,5 million de personnes chaque année. Il doit maintenant prendre des mesures audacieuses pour s'assurer que ses propres citoyens dans le Nord du pays ne sont pas laissés pour compte.

 

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